À peine avez-vous franchi la porte d'entrée qu'Isabelle vient vous chercher. À croire qu'elle vous attendait ! Ici, les patients sont bien lotis. En effet à peine trois ans après les premières intentions, l'hôpital de jour gériatrique nouvelle génération du Pavillon Saint-François a dévoilé son Bon séjour.
Le projet est né dans les esprits bouillonnants de nos commanditaires historiques de la Fabrique de l'hospitalité, le laboratoire d'innovation adossé à la Direction Générale du CHU de Strasbourg. L'accueil au sein du service de gériatrie devenait de plus en plus délicat, alors que le service ne désemplit pas, bien au contraire — tendance expliquée largement par le vieillissement de la population de patients entre autres.
Dès 2011, tout d'abord, l'unité hospitalière a été investie par les élèves du DSAA le Corbusier qui ont très finement identifié les premières brèches de ce service à part entière, ce qui permit d'établir un cahier des charges tout à la fois précis et ouvert pour l'intervention de notre équipe de conception réunie autour de Care & Co., agence dont nous sommes les co-fondateurs.
L'hôpital de jour
La ville de Strasbourg dispose d'un complexe hospitalier de pointe dont l'hôpital de jour gériatrique Saint-François est l'un des pavillons. Ce CMRR (Centre Mémoire Ressources et Recherche) accueille chaque jour une vingtaine de patients qui souffrent de troubles cognitifs et du comportement.
Repenser l'accueil,\ c'est remodeler tout\ le parcours de soin.
Ces patients, souvent âgés, s'y rendent pour y passer une série d'examens dispensés par une dizaine de praticiens (gériatre, neurologue, kinésithérapeute, ergothérapeute). Pour les patients, une seule journée suffit, donc plus besoin de sillonner la région pour telle ou telle consultation. Pour les médecins, L'intérêt de ce genre de centre de soin repose aussi sur le croisement des résultats visant à produire un bilan rapide et sensible issu du partage immédiat de leurs diagnostics.
Malgré ces atouts, le service doit faire face à des défis considérables :
- les patients sont désorientés et peinent à prendre leurs marques dans un espace qu'ils ne fréquentent que 2 ou 3 fois par an
- un hôpital est inévitablement anxiogène
- une journée d'examens, c'est court et à la fois épuisant pour une personne âgée
- plus les patients sont fatigués, plus les examens sont difficiles à mener, plus la consultation s'éternise
- les patients souffrent de la promiscuité et de l'agitation
- des stades très variables d'évolution des pathologies se côtoient dans un même espace
- la "salle d'attente" est à l'usage des patients mais aussi des familles et des équipes de soin
- …
Notre mission consistait donc à réinventer l'accueil des patients.
En résidence à l'hôpital
Comme souvent, les méthodologies traditionnelles avaient trouvé leurs limites pour relever ces nouveaux challenges. La commande qui nous était passée nécessitait une approche différente et un regard neuf sur l'accueil en milieu hospitalier. Toutefois, comment saisir tous les enjeux d'un dispositif dont nous ne sommes pas experts ? Nous privilégions le terrain aux grandes études, fermement convaincus que chaque contexte regorge de particularités qui sont autant d'opportunités d'innovation; notre démarche s'appuie donc sur le dialogue entre l'équipe hospitalière (équipe de soin, secrétariat, cadres de soin et cadres hospitaliers, direction administrative, médecin hygiéniste, ingénieur sécurité, direction de la qualité) et notre équipe pluridisciplinaire composée sur-mesure (designers de services, graphiste, coloriste, designers d'espaces et architecte).
Plusieurs types d'entretiens sont conduits avec les patients (ici, entretien individuel semi-dirigé).
Le projet s'est déroulé en deux temps : inspiration et projet, puis développement technique et chantier. Lors de la première phase, nous avons effectué quatre périodes de résidence, alternant les moments d'observation, d'entretiens avec les occupants (personnel, direction, patients, familles…), d'ateliers d'idéation, de travail en équipe et de formalisation. Bien que le format d'intervention en résidence soit rarement plébiscité, voilà les trois raisons pour lesquelles il était la condition du succès de ce projet.
Recueillir des inspirations
Si nous pratiquons souvent l'observation des usages réels, notre démarche n'a pas la prétention de remplacer les pratiques académiques de la sociologie ou de l'anthropologie sociale. Nous allons au contact du terrain pour nous saisir d'usages remarquables qui nous serviront ensuite d'inspiration. Notre objectif n'est nullement de produire le meilleur constat mais bien de proposer une alternative qui suscite des réactions auprès des principaux intéressés afin de rapidement vérifier nos hypothèses et même les enrichir. A cet égard, nous produisons des supports (esquisses, schémas, plans, prototypes) qui facilitent le dialogue avec des usagers aussi variés qu'un directeur d'établissement, un ambulancier, un patient ou un membre de sa famille.
Un exemple de prototypage in-situ tout à fait manifeste : nous avions remarqué que les patients déambulaient souvent, cherchant leur manteau laissé au vestiaire dans le couloir (un cercle vicieux puisque les patients qui se repèrent difficilement dans le temps associent les allers et venues à l'heure du départ). Pourquoi le porte-manteaux ne serait-il pas installé à l'entrée de la salle, visible par tous ? Nous testons immédiatement pendant 2 jours, puis 1 mois, et récoltons les retours que ce "prototype" provoque. Les médecins nous rapportent que les patients sont plus apaisés. Nous remarquons aussi que les plus coquets cherchent un reflet pour ajuster leur veste ou se recoiffer.
Détail du vestiaire
Nous esquissons un vestiaire d'accueil, auquel nous ajoutons un miroir pour contenter la dignité des personnes qui arrivent ou repartent. Ainsi qu'une tablette à mi-hauteur pour poser son sac sans avoir besoin de se pencher pour le ramasser.
Par l'entremise de multiples suggestions comme celle-ci, notre équipe s'intéresse à tous les niveaux de l'accueil :
Les enjeux d'information
- l'information que peut délivrer un médecin de ville qui prescrit les examens à faire à l'hôpital de jour
- la fiche remplie par le secrétariat lors du premier contact téléphonique
- la signalétique depuis l'extérieur jusque dans le service
- la fiche de suivi du patient pendant sa journée d'examens
- les outils de rappel pour se remémorer le prochain rendez-vous
- les repères dans le temps
Les enjeux d'espace
- proposer divers usages de l'espace polyvalent, entre l'attente, le soin, le repas, le repos…
- ponctuer l'espace de repères culturels qui stimulent la mémoire et les sens des patients
- inviter à profiter du paysage extérieur
- signifier la prise en charge au patient et faciliter les échanges avec l'équipe de soin
Première période de résidence au sein du service pour mieux connaître les usages des patients.
L'équipe pluridisciplinaire ici réunie pour croiser les points de vue.
Les idées sont exprimées par le dessin afin de faciliter leur partage, indifféremment de toute culture professionnelle.
Les idées encore assez schématiques sont immédiatement débattues avec l'équipe de soin, au cœur même du service
Le cahier des charges se précise grâce aux retours multiples des usagers du service (aide-soignants, médecins, patients, personnel d'entretien, aidants…
Une maquette de l'espace aide les usagers à bien se représenter le projet et ses composantes.
Garantir les investissements
Le projet comportait un double enjeu. En effet, dans le contexte de rigueur budgétaire actuel, notre équipe avait le devoir de conduire le projet avec le plus de légèreté possible, mais aussi de multiplier les communications pour convaincre sans cesse de la pertinence de la démarche, nouvelle pour beaucoup. Ces présentations qui ont rythmées le projet ont permis de sensibiliser tous les niveaux de décideurs. Chaque étape offre des perspectives toujours plus concrètes pour mieux se figurer les implications du projet et ajuster en temps réel le périmètre de travail.
Le scénario d'usage du service illustre les divers dispositifs conçus. On y reconnaît déjà le vestiaire à l'entrée de la salle de séjour.
L'horloge est installée au milieu du mur de curiosités. Sur son pourtour, des plages colorées indiquent le rythme de la journée pour aider les patients à se repérer.
Au moment du repas, deux larges tables accueillent les patients et l'équipe de soin.
Élément rassurant pour les patients, un espace de lecture et de repos est situé à l'entrée.
La salle de séjour est à destination des patients mais il peut également devenir agréable pour les moments partagés avec les familles ou aidants.
La phase de développement technique validée, les pièces de mobilier entrent en fabrication.
Alors même que le service fonctionne à plein régime, l'équipe positionne des ébauches des futurs éléments pour assurer les placement avant leur installation.
La salle de séjour se métamorphose en un vaste chantier éclair pour ne pas perturber le fonctionnement du service.
Aperçu du paysage graphique du belvédère, réalisé en Corian, un matériau particulièrement adapté aux contraintes d'hygiène d'un service hospitalier.
Cette vigilance portée aux moyens impartis nous a permis de prioriser les chantiers au fur et à mesure et donc de maximiser l'impact de notre travail sur le soin porté à l'accueil.
Assurer l'évolutivité du projet
La grande horloge, visible depuis n'importe quel endroit de la salle.
Il suffit de passer une heure à l'hôpital de jour pour se rendre compte de l'implication des équipes de soin. Ici pas de remède miracle, on parle plutôt d'accompagnement régulier, d'écoute.
Chaque aménagement, chaque examen, chaque détail du parcours de soin a été pensé par eux. Alors quand il est question de revoir la salle d'attente du service, on parle de leur outil de travail quotidien !
D'ordinaire, il est très enrichissant d'associer les principaux protagonistes d'un service pour bénéficier de leurs expertises.
Le vestiaire : les patients peuvent accéder à leurs effets personnels pendant leur journée d'examens.
Les patients ne passent plus leur journée dans un seul coin, ils occupent tous les espaces au gré de leurs activités.
Le belvédère fait partie des quelques dispositifs de stimulation cognitive et sensorielle. Les termes s'enchaînent pour former des phrases poétiques…
À l'heure du déjeuner, les occupants profitent de la lumière naturelle apportée par les grandes ouvertures.
À l'instar du vaisselier, le mobilier qualifie les usages de l'espace polyvalent.
Le soir, la salle de séjour accueille les familles qui attendent le bilan avec le médecin.
Notre intervention à l'hôpital de jour était par définition limitée dans le temps et nous n'avions pas la prétention de résoudre tous les nœuds de ce service. Dans le cadre de ce projet, notre équipe a donc veillé à impliquer aussi souvent que possible les différents usagers du service afin qu'ils se l'approprient complètement. Ateliers participatifs, entretiens individuels, prototypage d'idées… le succès que rencontre le projet tient sans doute au format de travail in-situ, pour égrainer nos échanges créatifs au rythme des moments les plus opportuns. De plus, il s'agissait de partager tout le "code source" du projet pour garantir que les futures adaptations, améliorations, prolongements du projet se déroulent en cohérence avec l'intention originelle.
Quelques mois après les premières idées, après un chantier éclair de seulement quelques semaines pour ne pas troubler le fonctionnement du service, le Bon séjour est bel et bien habité quotidiennement par les équipes et les patients. Depuis son inauguration en octobre 2015, les équipes de l'hôpital ont mis en place un protocole d'évaluation de l'impact du projet sur la qualité du soin qui a déjà révélé de nombreux bénéfices :
- des patients plus "contenus", qui déambulent beaucoup moins, et donc un rapport soignant-patient moins coercitif
- une atmosphère sereine qui facilite la concentration lorsque vient le moment d'un examen et donc améliore la qualité des bilans menés et le nombre de patients pris en charge pendant une journée
- des configurations qui encouragent l'échange entre les patients et réduisent le sentiment d'ennui
Projet réalisé en collaboration avec Marie Coirié (notre associée dans Care & Co.), Aurélie Eckenschwiller (architecture), Nicolas Couturier (design graphique), Maud Jarnoux (couleurs) et Julien Legras (développement technique et aménagement).
Projet commandité par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, avec le soutien de la Ville de Strasbourg, la DRAC Alsace, l'ARS Alsace, la MACSF, et AG2R La mondiale.
Publications :
"Design et hospitalité : quand le lieu donne leur valeur aux soins de santé", Denis Pellerin et Marie Coirié, Sciences du Design numéro 06, Design et santé, Novembre 2017.
"Ready, Steady, Prototype – Design Guide for Prototyping", de Stine Schulze et Runa Sabroe, mindblog.dk (Blog du Mind Lab, laboratoire interministériel Danois), 21 octobre 2015.
"Recréer les espaces de travail à l’hôpital : le design au service d’une démarche de management", de Christophe Lerch, Colloque Mines ParisTech, CGS Santé, 24 juin 2015.
Reference Center for Geriatric Memory Disorders: Redesign of the Service, Conférence de Barbara Bay et Denis Pellerin à Co-Create 2013, Helsinki, 19 juin 2013
Ce projet vous intéresse ? Mathilde, notre directrice du développement vous écoute au 01 42 59 47 54, ou vous répond par mail : hello@user.io.